Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 5-6.djvu/296

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porte où, et si je continuais à travailler, je finirais par me faire connaître… Je partis donc d’Orléans pour venir à Paris, continuant de gagner mon pain en chantant sur ma route. J’arrivai ainsi à Sceaux… ce fut là, — dit Basquine dont le front redevint sombre, menaçant, — ce fut là que, depuis la scène de la forêt de Chantilly, je revis le vicomte Scipion pour la première fois ; c’était jour de fête : espérant gagner quelque chose en allant chanter dans la meilleure auberge du village, je me la fis enseigner. Je venais d’achever une chanson devant plusieurs personnes attablées au milieu du jardin de ce restaurant, lorsqu’un garçon de service vint me prévenir que l’on désirait m’entendre dans l’un des salons du premier. — Tu vas avoir des pièces blanches, — me dit le garçon, — car ce sont des personnes riches… — Je suivis mon guide, il ouvrit une porte, et je me trouvai en présence de Scipion et de deux de ses camarades. La scène de la forêt de Chantilly m’était restée si présente, que je reconnus tout d’abord le vicomte ; lui ne se souvint sans doute pas de moi, d’ailleurs il me parut, ainsi que ses amis, très-animé par le vin. — Allons, chante, petite gueuse, — me dit-il grossièrement, et presque sans me regarder, — je te paierai mieux que ces canailles du jardin. — Tiens, ramasse, — et il me jeta insolemment une pièce de cinq francs qui roula par terre. J’étais si émue des souvenirs de toute sorte, que la vue de ce méchant enfant éveillait en moi, que je ne fis d’abord aucune attention à ses grossièretés ; muette, immobile, je ne ramassai point l’argent ; mon silence attira son attention ; se levant alors de table, il dit quelques mots à l’oreille de ses deux camarades ; l’un courut pousser le