Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1865-1866.djvu/181

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Divins aussi tes doigts, artisans de caresse,
Effilés, arrondis par le baiser du flux.
Nous n’en comprenons pas l’opulente paresse :
Nos mains ont travaillé six mille ans révolus,
Et depuis six mille ans la même faim nous presse
Et nous dévorerait si nous ne semions plus.

Nos ancres, en mordant les ténèbres salées,
Ont trouvé plus d’horreur en descendant plus bas.
Elles n’ont pas atteint ces lointaines vallées
Qu’un jour magique emplit, qui roulent sur tes pas
Des ruisseaux de brillants qui ne tarissent pas,
Des sables de corail et d’or dans leurs allées.

Pour nous la mer est triste, et sur les lents vaisseaux
Pleure la solitude aux sombres épouvantes ;
Toi, tu glisses gaîment dans tes profonds berceaux,
Et les molles forêts des campagnes mouvantes
Viennent palper ton sein de leurs lèvres vivantes
Sous les plafonds vitreux et bourdonnants des eaux.

Tu fuis, laissant traîner ta large tresse blonde ;
Ta corbeille de nacre aux tournantes cloisons
Murmure, en moissonnant d’étranges floraisons,