Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1865-1866.djvu/219

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Mettre au sort son manteau pour tous sans préférence,
      Puisqu’ils l’avaient tous profané.
Le peintre a bien surpris, dans son horreur naïve,
      Le vrai moment du désespoir :
Quand le monde est bruyant et la lumière vive,
      Le fond du cœur muet et noir ;
Quand parmi ces passants tout entiers à la vie
      Seul on souhaite et craint la mort,
Qu’on porte à la matière une ironique envie
      Comme si l’idée avait tort,
Et qu’on est près d’aller mendier la justice
      Comme l’aumône et le pardon,
Parce que l’âme enfin doute et se rapetisse
      Dans le néant de l’abandon.
Dans les premiers venus vous rêviez des apôtres :
      Ils se sont sauvés, les peureux !
A moins qu’ils n’aient vendu votre pensée aux autres
      Sous un verbe scellé par eux.
Vous croyez que le peuple est en secret fidèle
      Aux révoltés de la vertu :
Non, il résiste au bien comme une citadelle,
      Sans même l’avoir combattu.
Quand il vous a souillé le fronf et la tunique,
      Donné le sceptre de bois vert,