Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1865-1866.djvu/275

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Le mont ne rida point son front immaculé :
« Paix, mes filles, dit-il aux neiges éternelles,
Avant que je me dresse ils auront reculé. »
Sentant de ses forêts frémir les vieilles souches
Et leur plaintive houle importuner ses flancs :
« Rassurez-vous, dit-il, ô mes vierges farouches,
Votre seuil est terrible, ils s’en iront tremblants. »

Ah ! tu ne savais pas ce que peuvent les hommes,
Toi qui les défiais avec un tel dédain.
Monde nouveau, demande à l’ancien qui nous sommes ;
Où nous aurons passé tu seras vieux demain.
Déjà tes beaux déserts, hachés par nos charrues,
Sont des carrés de riz, de canne et de coton ;
Ils subissent le rail et le pavé des rues ;
Leurs sauvages troupeaux connaissent le bâton !
L’homme apporte avec lui le fouet et les entraves,
Il déshonore tout ; ton sol épouvanté
Comme une vieille Afrique a bu des pleurs d’esclaves,
Il t’a fait, malgré Dieu, trahir la liberté.
Encore un peu de temps, et les guerres civiles
D’une rosée impie abreuveront tes champs ;
Bois donc ! et tu sauras pourquoi les fleurs sont viles
Dans les jardins de Rome au soleil de printemps.