Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1865-1866.djvu/292

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L’a, pour les exprimer, de nos pensers instruit ?
Quand l’invisible esprit d’une secousse forte
De sa prison de chair a-t-il forcé la porte ?
Et quel étrange accord des lèvres et des fronts
Lui permit d’échanger des messages si prompts ?
Qui sait comment, tirés de leurs sombres demeures,
Tous les pensers d’un peuple, ombres intérieures,
Fantômes fugitifs qu’on ne se peut montrer,
Dans des mots inconnus purent se rencontrer ;
Comment l’esprit enfin, proclamant sa présence,
Put dire à son pareil avec de l’air : « Je pense » ?
Ne se pourrait-il pas qu’au même lieu conduits,
Deux hommes tourmentés du silence des nuits,
Communiant déjà de leurs mains fraternelles,
Eussent ensemble aux deux élevé leurs prunelles,
Qu’ils eussent embrassé les mondes infinis,
Puis, se sentant plus grands, d’intelligence unis
Et dignes d’obtenir le verbe en récompense,
Se fussent dit tout bas l’un à l’autre : « Je pense » ?

Vous avez nommé l’âme, et vos noms sont perdus,
Vous à qui ces moments délicieux sont dus
Où, d’un ami comprise, une profonde idée
Par le concert des cœurs semble mieux possédée.