Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1865-1866.djvu/319

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Tant que l’air portera les oiseaux et la foudre,
Et les neiges d’hiver et les parfums d’été ;
Que l’amour écrira des serments dans la poudre
En mariant la honte avec la volupté ;
Tant que devra sévir le sort triste qui lie,
A toute heure et partout, avec de cuisants nœuds,
La raison à l’énigme, à l’épreuve la vie,
O poète, ton nom sera jeune et fameux !
Il n’est pas un amour, pas une plaie humaine,
Dont le feu sous ton doigt ne se sente irrité ;
Avec force et plaisir ton vers plonge et promène
Au vif de la douleur la sensibilité ;
Des abîmes du doute où le néant commence
Aux éternels sommets de l’espoir étoile,
Il n’est pas de degré dans la pensée immense
Que n’ait franchi l’essor de ton génie ailé !
Mais tu n’as jamais su lui choisir sa demeure,
Rien ne t’a satisfait des enfers jusqu’aux cieux ;
Le plus gai de tes vers couvre un ange qui pleure,
Le rire de ton masque est mouillé par tes yeux.
Ne pouvant ni chasser ni fixer l’espérance,
A moitié dans ce monde et dans l’autre à moitié,
Tu restes pour le bien dans une indifférence
Qui commande à la fois le blâme et la pitié.