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les destins

Sur elle rien ne sent, rien ne pense, rien n’aime.
Pas un souffle de vie. Il passe seulement,
Comme avant les réveils, un bref tressaillement ;
Et la masse, indécise entre toutes les formes,
Oscille avec lourdeur sur ses pôles énormes.
On dirait un serpent gigantesque noué,
De force et de souplesse excellemment doué,
Mais ivre, et si repu de pâture indigeste,
Que, sa proie à la gorge, où son poids tombe, il reste.
Et cependant ses yeux roulent d’obscurs regards,
Sa poitrine oppressée exhale des brouillards,
Dans sa paralysie il tâche de se tordre,
Et son labeur profond, qui ressemble au désordre,
Enrichit lentement le flux artériel ;
Jusqu’à l’heure où, dressant son col flexible au ciel,
Et sifflant, pour fêter vers la coupole bleue
Le bien-être qui court de sa tête à sa queue,
Le beau monstre bondit, prêt à combler sans fin
Par des repas nouveaux sa renaissante faim !

Pendant qu’ainsi la Terre, en apparence inerte,
Aux caprices des sorts semble une proie offerte,
Et, toute au lent travail de ses propres vertus,
Paraît ensevelie en un sommeil obtus,