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les destins

Choisit ce qu’à la Terre il souhaite le plus.
Tout corrompre, tel est d’abord son vœu suprême :
« Que ce bloc se dissolve et croule de lui-même !
Que tout être à son poids s’y laisse succomber,
Dit-il, n’ayant surgi que pour pouvoir tomber,
N’ayant eu dans sa vie impure, oblique et lâche,
De force à déployer que pour trahir sa tâche,
Ayant souffert sans gloire et joui sans amour,
Dans l’horreur du travail et le dégoût du jour !
Oui, que cette planète à peine éclose avorte,
Et meure, juste née assez pour être morte !
Oui, que toute sa sève et ses germes confus,
Honteusement frustrés à leurs canaux prévus,
Consomment d’inféconds et sinistres incestes
Dont les fruits viciés n’engendrent de leurs restes
Que la corruption ! Faisons de l’univers
Un cadavre infini renaissant sous ses vers,
Et n’y laissons traîner qu’une guenille d’âme,
Afin qu’étant immonde il soit encore infâme !
Croupisse donc cet astre et le monde avec lui !
Il n’est pire destin que l’opprobre et l’ennui ! »

Il parle ainsi, rêvant de son souffle qui rampe,
D’éteindre l’idéal comme on souffle une lampe,