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les destins

S’il commence ses jours réels ou les achève,
S’il ne va pas, ailleurs, soudain se réveiller
Sur l’implacable roc d’un ancien oreiller.

« Donnons donc aux douleurs un utile intermède ;
Pour mieux nuire, appelons le bien même à notre aide,
Car un sage contraste est l’art des vrais bourreaux.
Laissons luire le ciel à travers les barreaux :
Sous un regard du jour la prison se resserre ;
Pour assombrir les deuils l’azur est nécessaire.
Ma puissance d’ailleurs a son terme fatal :
Que serait-ce, en effet, que l’infini du mal ?
Le néant, puisqu’au fond mal faire c’est détruire.
Tuons, mais par degrés, afin de longtemps nuire ;
Et, puisque par le mal le mal même est frustré,
Combinons savamment un monstre modéré.
Tout corrompre, infliger sans trêve la torture,
C’est trop, ce double excès répugne à la nature ;
Le patient doit vivre ou ne peut plus pâtir :
Or un fumier n’a plus de vie, et nul martyr
N’est viable ; soyons discret, et plus funeste ;
Tempérons la famine et mitigeons la peste,
De peur que les mortels ne soient fauchés d’un coup.
Pour des milliers d’agneaux, que faut-il ? Un seul loup :