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les destins


Que rêver de plus doux qu’un avenir pareil :
La Terre s’embrasant comme un vivant soleil,
Où, dans un plein contact, un double cœur de flamme
Rayonne et d’une ivresse immortelle se pâme ?
Pourtant, près de toucher le monde qu’il douait,
L’Esprit du bien balance. Il suspend son souhait :

« L’amour n’est, reprend-il, qu’une adorable entrave
Où le beau savouré n’est qu’un songe suave.
S’il est bon de sentir, meilleur est de pouvoir.
Oui, le couple est heureux de deux corps qui s’attirent
Pour fondre lentement deux âmes qui s’admirent,
Mais la possession suprême est de savoir !

« Je ne veux qu’un seul être en face d’un problème
Qui se pose et résolve incessamment soi-même ;
Un artiste goûtant le vrai sous des contours ;
Qui, sans le moindre effort, créant tout par miracles,
Se plaise à voir surgir et tomber les obstacles
Comme une mer s’élève et s’aplanit toujours.

« Seul, assis au milieu des choses passagères,
Il verra circuler autour de lui les sphères,
Maître et contemplateur de leurs précises lois,