Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1878-1879, 1886.djvu/101

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Qui fit entendre au roi le nom sacré de père :
On la saisit tremblante, on la traîne à l’autel,
Non pour voir accomplir le rite solennel
Et par l’hymen brillant s’en retourner suivie,
Mais, nubile, offrant pure au fer honteux sa vie,
Tomber, victime en pleurs qu’un père sacrifie
Pour le départ heureux et sûr de ses vaisseaux...
Tant la Religion put conseiller de maux !
     Vaincu par tous les vieux et terribles mensonges
Que t’ont faits les devins, tu te gares de moi ;
Car combien n’ont-ils pas imaginé de songes
Qui pussent, de la vie abolissant la loi,
Bouleverser ton sort tout entier par l’effroi !

     Ah ! que si, reniant sa sainte extravagance,
L’homme avait bien la foi que ses maux finiront,
Des devins menaçants il vaincrait l’arrogance !
Mais, ignorant, sans force, il baisse encor le front,
Car il craint dans la mort une éternelle peine :
Que sait-il, en effet, de l’âme et de son sort ?
L’âme est-elle l’ainée ou la contemporaine
De la vie, ou dissoute avec nous par la mort ?
Au gouffre de Pluton dans la nuit descend-elle ?
Un dieu la souffle-t-il en mainte chair nouvelle ?
Comme autrefois l’a dit Ennius, qui ravit
À l’Hélicon charmant la verdure immortelle,
La première qu’autour d’un front latin l’on vit !
Mais ses vers d’étemelle et haute renommée,
Peignant l’Achéron noir, en ont peuplé les bords
De spectres sans couleur, d’une essence innommée,