Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1878-1879, 1886.djvu/116

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Sans vide, la matière est vraiment éternelle.
Et s’il fût que jamais la matière périt,
Dans leur ancien néant qui les eût fait éclore
Les choses rentreraient pour en renaître encore.
Mais rien ne naît de rien, ma Muse te l’apprit,
Et rien n’est jamais né que le néant reprît.
De l’atome immortelle est donc la masse entière :
L’objet, s’y résolvant à son heure dernière,
Rapporte au renouveau des choses la matière !
Ainsi, fort de sa simple et solide unité,
L’atome se conserve et rouvre la carrière
Aux transformations depuis l’éternité !
     S’il n’était point enfin posé par la Nature
De terme aux fractions, une longue rupture
Eût déjà divisé la matière à tel point
Qu’une heure dût bientôt arriver dans la suite
Où ses œuvres conçus ne s’achèveraient point ;
Car toute chose au monde est plus vite détruite
Qu’elle n’est restaurée ; aussi ce que le temps
Dans le cours infini des âges précédents
Eût brisé, manquerait, dissous et pêle-mêle,
D’assez de jours pour naître à sa forme nouvelle.
Or, tout prouve aujourd’hui, dans ce que nous voyons,
Qu’il est à ce broîment une limite sûre,
Car le temps refait tout, et par genres assure
Leur croissance et leur fleur à ses créations.

     Ajoute que malgré la solide substance
Des atomes, l’esprit peut concevoir comment
L’eau, la vapeur, la terre, et l’air, sans consistance,