Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1878-1879, 1886.djvu/119

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Supprime cette loi : que les choses produites
En d’insécables parts sont forcément réduites,
Et la Nature alors ne peut se réparer ;
Car un corps devenant à l’infini poussière.
Répugne à ces états qu’affecte une matière
Apte à créer, tels que : poids, chocs, liens divers,
Rencontre et mouvement, d’où sort tout l’univers.

Ceux qui veulent que tout existe et s’accomplisse
Par le feu, que le feu soit l’unique élément,
De ceux-là tu prévois l’insigne égarement.
Héraclite, leur chef, est le premier en lice
Qui, chez les sages grecs, moins à l’autorité
Qu’à l’art d’un verbe obscur dut la célébrité.
La foule volontiers s’éprend et s’émerveille
Du mystère entrevu sous d’habiles détours ;
La foule tient pour vrai ce qui flatte l’oreille,
Ce que farde un sonore et caressant discours !
     S’il n’est que le feu pur, d’où vient donc, je te prie,
Que le monde, son œuvre, à l’infini varie
Dans ses productions ? Car il importe peu
Que se dilate ou bien se condense le feu,
S’il reste feu toujours et dans chaque partie ;
Son ardeur, là plus vive, est ailleurs amortie,
Selon qu’il se resserre ou s’écarte diffus,
Mais tu n’en peux tirer pour cela rien de plus.
Tant s’en faut que l’état si varié des choses
N’ait que ses éléments, clairs ou serrés, pour causes.
     Encor s’ils admettaient du vide aux corps uni,
Le corps igné pourrait devenir dense ou rare ;