Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1878-1879, 1886.djvu/123

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Puis ils croient que les corps à l’infini se rompent,
Sans admettre jamais d’arrêt aux fractions
Ni, dans les corps, d’atome insécable. Ils se trompent :
Il faut bien que pour point dernier nous admettions
Ce que l’aveu des sens prononce irréductible :
Or, l’atome insécable est justement pour nous
Cet extrême d’un corps qui n’est plus perceptible.
En outre, comme ils font de corps souples et mous,
Corps sujets à périr comme on les a vus naître,
Les éléments premiers, créateurs de tout être,
Il suit que l’Univers doit retourner à rien
Et doit tirer de rien ses œuvres rajeunies.
Erreur deux fois absurde et que tu connais bien !
Ces substances, d’ailleurs, si souvent ennemies
Et poisons l’une à l’autre, ou périraient unies,
Ou se disperseraient comme par les gros temps
Se dispersent la foudre et la pluie et les vents.
     Admets enfin que tout sorte de quatre choses,
Et qu’aussi tout retourne à ces quatre éléments ;
Mais ces principes-là, d’où vient que tu supposes
Qu’ils font les corps plutôt que les corps ne les font ?
Car ils alternent tous pour engendrer le monde
D’un échange éternel d’apparence et de fond.
     Que si tu veux que l’air se puisse unir à l’onde,
Et la matière ignée à l’élément terreux,
Sans changer de nature en s’accouplant entre eux,
Jamais tu ne feras que leur concours enfante
Un corps vivant, non plus que sans vie : une plante ;
Car chacun dans ce groupe, amas d’êtres divers,
Accuse sa nature, et l’air s’y manifeste