Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1878-1879, 1886.djvu/130

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     Solides, tu le sais, les germes de matière
Vont et viennent sans fin, masse à jamais entière ;
Mais leur somme, ce point doit être examiné,
Est-elle ou non finie ? Et j’ai déterminé
Le lieu, l’espace libre où s’agite le monde.
Ce vide, recherchons s’il offre un champ borné
Ou d’un abîme ouvert l’immensité profonde.
     Certes, dans aucun sens le Tout n’est limité :
Car il faudrait qu’au Tout fût une extrémité ;
Or, nulle extrémité n’existe en une chose
Sans quelque être au-delà qui la borne et qui pose
Un terme où le trajet du regard aboutit ;
Donc le Tout (hors duquel n’est rien sans contredit)
Manquant d’extrémité n’a ni fin ni mesure.
Et n’importe en quel lieu l’on s’y trouve placé,
Toujours de quelque poste éloigné qu’on s’assure,
On voit tout l’infini de toutes parts laissé.
     En outre, supposons fini l’espace vide ;
Que si quelqu’un se porte à son extrême bord,
Et là, juste au confin, décoche un trait rapide,
Admets-tu que, brandi par un puissant effort,
Le trait d’un libre vol fuie où la main l’adresse,
Ou bien que devant lui quelque obstacle se dresse ?
C’est l’un ou l’autre : il faut évidemment opter ;
Des deux parts point d’issue ! et tu dois reconnaître
Qu’à l’infini s’étend tout l’ensemble de l’être,
Car, ou bien, quelque objet venant l’intercepter,
Ce trait n’atteindra pas à la limite même,
Ou, s’il passe, il n’est point parti du bord extrême.
Je te peux suivre ainsi, tu recules en vain