Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1878-1879, 1886.djvu/131

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N’importe où ; qu’advient-il de cette flèche enfin ?
Elle ne peut trouver nulle part de limite,
Il s’ouvre une carrière éternelle à sa fuite.
     En outre, que l’espace entier soit limité,
Qu’en un cercle fixé le Tout se circonscrive,
Aussitôt par son poids la matière massive
Se ramasse en un bloc au fond précipité ;
Sous la voûte du ciel rien, plus rien ne circule,
Même il n’est plus ni ciel ni rayons de soleil.
La matière, en effet, qui toute s’accumule,
Dès l’infini du temps croupit dans le sommeil.
Il n’en est point ainsi : les corps élémentaires
N’ont jamais de repos, car il n’est pas de fond
Où tous ils puissent tendre et rester sédentaires ;
Dans une activité sans fin les choses vont
En tous sens, et le flot des principes du monde,
Étemels et lancés du sein du gouffre, abonde.
     L’objet borne l’objet, partout nous l’observons :
Les monts limitent l’air, et l’air enceint les monts,
La mer confine au sol, le sol aux mers confine ;
Mais le Tout hors de soi n’a rien qui le termine.
Une lueur de foudre en son rapide cours
Peut, tant la profondeur de l’espace est immense,
Suivre le vol du temps en y fuyant toujours,
Et toujours sa carrière en entier recommence.
Ainsi, de tous côtés, des abîmes ouverts ;
Nulle part, de limite à l’énorme univers !
La Nature interdit à cette somme entière
Des choses toute borne, en forçant la matière
À borner l’être vide et la bornant par lui ;