Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1878-1879, 1886.djvu/29

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Il importe de remarquer que depuis ce moment le progrès de la science entière est resté intimement lié au progrès de la réflexion, qui, sous le nom de logique et depuis Aristote, a tenté de s’organiser en science particulière.

La seule spontanéité de l’esprit s’attache aux données sensibles dans l’ordre où elles se présentent ; elle observe et juge à mesure qu’elle perçoit, elle n’est capable d’instituer aucune expérimentation ; elle ne provoque pas les questions, elle les rencontre et les résout par une assimilation inconsciente, comme se fait la digestion.

La réflexion, par l’analyse des lois de la pensée, tend à déterminer de mieux en mieux les conditions mêmes de la connaissance sous la variété des objet, et par suite à bien poser ces conditions dans une recherche quelconque. Elle tend à une méthode unique, mais progressivement, et comme tous les esprits ne possèdent pas au même point cette faculté d’analyse logique, il se produit en réalité autant de méthodes artificielles qu’il y a de degrés dans la réflexion. Ces méthodes sont le plus souvent vicieuses parce qu’elles soumettent l’étude de toutes choses à un régime logique incomplet, qui n’est applicable qu’à un certain ordre de faits. Le plus grand exemple qu’on puisse fournir de ces partis pris malheureux, c’est le procédé logique de Spinosa, qui, pour avoir voulu démontrer mathématiquement des vérités de l’ordre empirique, s’est refusé tout le bénéfice de la méthode expérimentale. Quand elle est poussée au delà de son domaine propre, une méthode artificielle perd les avantages de la spontanéité et nous met en défiance contre elle-même. Cela est si vrai qu’on en appelle toujours malgré soi des systèmes au bon sens, qui n’est autre que la spontanéité de l’esprit humain. Et il arrive souvent que,