Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1878-1879, 1886.djvu/342

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le poète.



Nous naissons pour régner, et n’abdiquons jamais.
Du serf, ancien vaincu rêvant les parts égales,
Au seigneur, indigné des barrières légales,
Nul homme de plein gré ne dit : « Je me soumets. »

Et c’est peu d’être libre, on dit : « Si je primais !
Maître à mon tour, exempt des besognes banales ! »
Vœu que réveille, en bas, le cri des saturnales,
En haut, l’appel tentant des glorieux sommets.

Hé bien ! tous compagnons d’une même infortune,
Tous prétendants captifs, dans la chaîne commune
Pour nos titres gardons un respect mutuel ;

Vivons sur terre en rois dont n’a pas sonné l’heure,
Qui, par grâce accueillis dans quelque humble demeure,
S’y font l’esprit plus sage et le cœur moins cruel.