Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1878-1879, 1886.djvu/353

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Ainsi les pionniers sont en pleine discorde.
Le feu rôde, et déjà s’attaque aux plus vieux troncs,
Tandis que se balance aux mains des bûcherons
Le fer aidé des bras qui tirent sur la corde.

À l’œuvre ! il est passé, le temps de l’examen ;
Il faut que la forêt s’assainisse et s’éclaire,
Ou par le bûcheron ou par l’incendiaire ;
Aujourd’hui, la cognée ! Ou la torche, demain !

Malheur à qui se berce au murmure des branches,
Et s’endort sur la foi des gardiens du passé,
Ou, par la flamme active et proche menacé,
Renonce à l’abatis pour cueillir les pervenches !

Hélas ! abattre est dur et ne nous sourit point,
À nous que l’ombre tente et la verdure attire !
Nous, dont jamais les doigts n’ont su quitter la lyre,
Faut-il que nous marchions avec la hache au poing ?

Je t’invoque, ô Chénier, pour juge et pour modèle !
Apprends-moi — car je doute encor si je trahis,
Patriote, mon art, ou chanteur, mon pays, —
Qu’à ces deux grands amours on peut être fidèle ;