Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1878-1879, 1886.djvu/93

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formité à la fin voulue, mais ceux qui nous voient agir ne la connaissent que par l’accomplissement de nos actes, et n’en eussions-nous prémédité aucune, ils nous attribueraient un dessein quelconque d’après le résultat de notre action, toute machinale qu’elle serait. Nous sommes des spectateurs semblables en face de la nature, observons ce qu’elle fait, mais ne préjugeons pas qu’elle l’a voulu.

Quant à l’axiome de substantialité, la science n’y a pas encore renoncé malgré son aversion marquée pour la métaphysique ; elle parle encore de matière, de masse, de molécules, et s’attarde ainsi dans des conceptions surannées, illusions de la connaissance spontanée qu’elle a pour mission de faire tomber en substituant partout des rapports aux entités fictives. Nous avons essayé de montrer que ni l’expérience externe ni l’expérience interne ne sont en érat de résoudre le problème de la substance. Il leur est impossible d’en attester la division : l’individualité conçue comme une distinction de substances aboutit à la négation de toute relation entre les individus, faute d’un fond commun à tous ; or, si l’expérience nous apprend quelque chose de certain, c’est qu’il existe des relations entre toutes les choses que nous percevons. Mais d’autre part comment concilier la conscience avec l’universalité de la substance ? Nous pouvons très bien ne pas être capables de résoudre cette difficulté, sans être pour cela en droit de la déclarer insoluble ; mais nous ne sommes certainement pas en droit de la trancher contre le témoignage de l’expérience. Sachons plutôt ne pas savoir, ce n’est pas la moindre vertu du vrai philosophe. Le plus sûr est de différer la conclusion et de réfléchir longtemps encore. Toutefois, entendons par réfléchir, non pas concentrer indéfiniment nos facultés sur les