Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1878-1879, 1886.djvu/99

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Béant vers toi, d’amour il se repaît les yeux,
Et, renversé, suspend à tes lèvres son âme !
Lorsqu’il repose ainsi sur ton corps glorieux,
Presse-le comme une onde, et que ta voix le charme
Et le prie, et, propice aux Romains, le désarme !
Mon chant, quand la patrie est dans de mauvais jours,
Se trouble, et Memmius ne peut, en pleine alarme,
Frustrer l’espoir public d’un illustre secours !
Les Dieux, de leur nature, entière par soi-même,
Sont immortels, heureux dans une paix suprême,
Loin des choses de l’homme et bien plus haut que nous ;
Nos périls, nos douleurs ne leur sont pas communes ;
Sans nul besoin de nous, maîtres de leurs fortunes,
Ils sont indifférents, sans grâce ni courroux.

     Apprête ton génie, et d’une libre oreille
À loisir, Memmius, entends la vérité ;
Ce gage de mon zèle et ce fruit de ma veille,
Ne les dédaigne pas sans m’avoir écouté.
     Je vais dire des Dieux les principes suprêmes
Et sonder la Nature en ces éléments mêmes
Dont les corps sont créés, vivifiés, nourris,
Où, par la mort dissous, retournent leurs débris.
Retiens qu’en mes leçons les mots matière ou germe,
Ou corps générateur désignent l’élément ;
Le nom de corps premier tous les trois les renferme,
Car il marque à la fois cause et commencement.

     L’homme traînait sa vie abjecte et malheureuse,
Sous le genou pesant de la Religion