Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1879-1888.djvu/167

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Savourer de ta main la libre et douce étreinte,
Sur tes lèvres le miel de tes libres aveux,
T’admirer librement, longtemps, toujours, sans crainte,
Sans barrière aux regards et sans barrière aux vœux !
 
N’avoir plus à cacher, comme on cache une faute,
Ton amour par l’épreuve et la foi mérité,
T’adorer et pouvoir te le dire à voix haute
Devant l’azur, témoin de ma sincérité !

Ah ! quel prodige ! et quelle inexprimable ivresse !
Il est donc vrai ? la vie odieuse a pris fin,
Celle où mon âme entière a connu la détresse,
Où tous mes grands amours sans espoir ont eu faim ;

Où ma soif de connaître à son tour fut leurrée
Par le fleuve fugace et vain des accidents,
Dont l’apparence amère est seule demeurée
Quand j’en ai voulu boire et goûter le dedans.

Elle a pris fin, la vie où j’ai pleuré dans l’ombre,
Quêteur du Vrai qui fuit et mendiant du Beau ;
Dans la paix la voilà tout entière qui sombre.
Pour refleurir au ciel par delà le tombeau !