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VOIX DE LA TERRE


Cependant, loin, très loin, tout là-bas dans l’espace,
Une rumeur immense et confuse s’amasse,
Pareille au sombre chœur des lamentables voix
Que l’orage imminent soulève dans les bois,
Ou bien au chœur lugubre et plus sinistre encore
Des vagues et des vents dans leur combat sonore.
C’est la plainte grossie où se sont rassemblés
Les blasphèmes sans nombre aux prières mêlés,
Qu’adresse, jour et nuit, du dos de sa planète
L’humanité souffrante à sa Cause muette.

Le prêtre qui fait dire à l’enfant son credo
Et du jour offre à Dieu le renaissant fardeau ;
Le savant qui n’a foi qu’aux jeux de la matière
Et, du ciel affrontant la profondeur altière,
La somme de répondre et n’y sent rien parler ;
Le malade innocent que fait geindre ou hurler
Contre son créateur sa brutale torture ;
Le pauvre qui réclame à l’avare Nature,
Puisqu’il faut vivre, au moins de quoi ne pas mourir ;
Le riche qui, lassé de son âme à nourrir,