Page:Sully Prudhomme - Poésies 1866-1872, 1872.djvu/111

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TORSES ANTIQUES


 
Le long des corridors aux murailles de pierre,
Les marbres déterrés et dégagés du lierre
Offrent leur grand désastre à la pitié des yeux.
Peuple autrefois sacré de héros et de dieux,
Ils tombèrent, gardant leur attitude auguste.
La chute a fait rouler la tête loin du buste,
Mais il semble que l’âme, ayant quitté le chef,
Palpite encore autour du plus vague relief,
Ou que plutôt l’artiste, inculquant sa pensée,
L’avait dans tout le corps noblement dispensée :
— De l’épaule à la hanche et du pouce à l’orteil
Apollon tend son arc et lance du soleil.
— Au tourment qui roidit ce nerveux pentélique,
Je sens durer l’effort d’une lutte athlétique.
— Ce tronc jeune, encor blanc comme un tronc de bouleau,
C’est Narcisse amoureux qui s’admire dans l’eau.
— Et je te reconnais, forme humaine et divine,
Aphrodite, c’est toi, le désir te devine :
De ta bouche un barbare a meurtri le dessin,