Page:Sully Prudhomme - Poésies 1866-1872, 1872.djvu/236

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LA MARE D’AUTEUIL


 
Jeunes et vieux, ô vous, vengeurs de toutes sortes,
Qui, bravant la mitraille, en avant des remparts,
Tombez, sous un ciel froid, dans les plaines épars,
Frères, pardonnez-moi, si, voyant à nos portes,
Là même où vous aussi les voyiez autrefois,
Tous ces arbres couchés parmi leurs feuilles mortes,
        J’ose m’attendrir sur les bois.

Ces bois nous étaient chers par leur site et leur âge,
Par l’ancêtre inconnu qui les avait plantés,
Surtout par la douceur des rêves enchantés
Qu’ils éveillaient dans l’âme en versant leur ombrage,
Par leurs sentiers étroits, leur sauvage gazon,
Et la fraîche percée où comme un clair mirage
        Reculait leur vague horizon.

Là dormait une mare antique et naturelle,
Où, vers le piège lent des brusques, hameçons,
Montaient et se croisaient des lueurs de poissons,