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conversions et de l’épouvante que la guerre semait dans les bourgades même les plus éloignées.

Les Hurons, peuple agriculteur, partaient chaque année de leur pays, près des grands lacs, emportant plus de céréales que de fourrures ; parvenus à l’Ottawa, soit à la décharge de la Matawan, ou à l’île des Allumettes, ou à la Gatineau, ils rencontraient les Attikamègues et d’autres nations du nord, ainsi que les Algonquins des bords de l’Ottawa, tous chasseurs, qui échangeaient avec eux des pelleteries pour du blé et de la farine. En même temps se transmettaient les lettres des missions huronnes destinées aux Trois-Rivières et à Québec ; car les dépêches de ces deux postes, que l’on craignait de voir se perdre en tombant aux mains des Iroquois, étaient confiées aux Attikamègues. Les Hurons, qui traitaient avec ceux-ci sur l’Ottawa ou ailleurs, descendaient, il est vrai, par le Saint-Laurent jusqu’aux Trois-Rivières ; mais en cas d’attaque de la part des Iroquois, les lettres n’eussent pas été en sûreté. La Relation de 1647 s’exprime ainsi : « Les Attikamègues ont commerce avec les Hurons et avec les Français. Leur rendez-vous se fait certain mois de l’année en un lieu dont ils sont convenus, et là les Hurons leur apportent du blé et de la farine de leur pays, des rets et d’autres petites marchandises qu’ils échangent contre des peaux de cerfs, d’élans, de castors et d’autres animaux. Ceux qui communiquent avec les Français les abordent une ou deux fois l’année, par le fleuve appelé les Trois-Rivières, ou même encore par le Sagné qui se décharge à Tadoussac — mais ce chemin leur est fort difficile… Ils se sont trouvés cette année (aux Trois-Rivières) au nombre de plus de trente canots. Nous leur avions donné des lettres pour les faire porter par cinquante Hurons qui se trouvaient en cette assemblée à nos pères qui sont en leur pays, et nos pères de ces contrées-là en avaient aussi donné à leurs Hurons pour nous les faire rendre par les Attikamègues. Ces bonnes gens ont été fidèles : ils ont donné nos lettres aux Hurons, et nous ont rendu celles qui venaient de nos pères qui sont en ce pays-là. Les Iroquois nous contraignent de chercher ces voies merveilleusement écartées. »

Ainsi, deux mille maraudeurs nous empêchaient de vivre tranquillement au milieu de nos paroisses naissantes. La voie du Saint-Laurent nous était fermée. Les promesses que l’on avait faites aux petits métayers français, invités à s’établir dans la Nouvelle-France, devenaient illusoires du moment où les incursions des tribus hostiles mettaient un obstacle sérieux aux travaux des champs. Vendre des céréales aux Algonquins, en échange de leurs pelleteries, n’était plus possible. Nul commerce de grain n’était encore ouvert du côté de la France. Le procédé, ou plutôt le système imposé jusque là, consistait à produire du blé et à le vendre aux Algonquins, lesquels donnaient en retour des pelleteries. La compagnie des Cent-Associés, ou celle des Habitants, troquaient ces peaux à leurs magasins ; les articles de France — lainages, tissus, meubles, outils, objets d’habillement — faisaient défaut aux colons en 1647, par suite de cette guerre absurde que trois cents hommes bien armés eussent rendue impossible pour toujours.

M. de Montmagny ne manquait ni de courage ni de bonne volonté ; mais que pouvait-il