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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

évident c’est que Radisson se sépara d’eux, et que, rebuté par le gouvernement français, il accepta des Anglais le commandement de cinq navires avec lesquels il parut, le 15 août 1684, devant le fort Nelson, à l’entrée de la rivière Sainte-Thérèse, qu’il enleva par stratagème. Le jeune Chouart et ses hommes furent pris. Les fourrures portées à Londres à la suite de ce coup de main occasionnèrent une perte de trois cent mille francs à la compagnie du Nord. Le 10 avril, même année, Louis XIV avait écrit à M. de la Barre : « Le roi d’Angleterre a autorisé son ambassadeur à me parler de ce qui est arrivé à la rivière Nelson entre les Anglais et Radisson et Desgrozelliers, et je suis heureux de vous informer que je ne veux donner au roi d’Angleterre aucun sujet de plainte, mais, comme je crois qu’il est important d’empêcher que les Anglais s’établissent sur cette rivière, vous feriez bien de proposer au commandant de la baie d’Hudson de ne laisser se former de nouveaux établissements ni par les Français ni par les Anglais, ce à quoi je suis persuadé qu’il donnera son consentement, d’autant plus qu’il n’est pas en position d’empêcher ceux que mes sujets voudraient former dans la dite rivière Nelson. »

L’heure de la crise approchait. Anglais et Français avaient désormais des prétentions à faire valoir, des intérêts engagés, un point d’honneur à soutenir. Les actes de violence appelaient des représailles. On allait se disputer sans trêve ni merci, pendant trente ans, cette baie du Nord, autrefois l’objet de l’indifférence générale et dont Chouart et Radisson avaient compris l’importance sans parvenir à se faire écouter de leurs nationaux.

Sur instruction du gouverneur, Zacharie Jolliet (frère de Louis Jolliet) prit possession solennelle de la rivière Nemiskau, le 2 juillet 1685, en vue de troubler autant que possible la traite des Anglais. Radisson, toujours à la tête de ceux-ci, empêchait absolument les Français de trafiquer dans le nord ; l’hiver de 1685-86, il était à la baie et il devait s’y trouver encore lorsque le chevalier de Troyes y parut.

La compagnie du Nord n’avait reçu sa charte que le 20 mai 1685, quoiqu’elle fût réellement constituée et en activité depuis trois ans. Une fois munie de cette patente elle ne demandait qu’à précipiter les événements ; la conquête de la baie lui parut toute naturelle. M. de Denonville, successeur de M. de la Barre, céda à ses instances, et par instruction du 12 février 1686, envoya le chevalier de Troyes avec soixante et dix Canadiens éprouvés, sous les ordres des trois frères Le Moyne d’Iberville, de Sainte-Hélène et de Maricourt, à travers les terres, s’emparer des forts Sainte-Thérèse, Monsipi, Albany et Rupert. L’expédition réussit complétement. Le 10 août, de Troyes reprenait la route du Canada, laissant d’Iberville pour commander à sa place.

Chouart et Radisson disparaissent après cela de l’Histoire. Il paraîtrait, d’après Charlevoix, que Radisson mourut en Angleterre ; cependant, vers 1700 on voit à Québec un nommé Radisson intéressé dans les affaires du Détroit. M. de Denonville avait promis cinquante pistoles à quiconque s’emparerait de lui et ce gouverneur dit même qu’il avait envoyé de Troyes à la baie principalement pour capturer le transfuge. Il promettait aussi au jeune Chouart de le récompenser s’il restait fidèle à la France. Ces hommes agissaient comme les