Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome V, 1882.djvu/40

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
25
HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

par eux-mêmes et pour l’avantage de l’habitant. Outre les blés, les pois, les seigles, l’orge, le blé-d’Inde, le foin, le sarrazin, les fèves cultivés partout, on entretenait du bétail, bœufs, vaches, et aussi des cochons. Les herbes potagères, les légumes prospéraient à merveille. La pêche était d’une abondance extraordinaire. Le gibier venait se faire tuer à côté de la ferme[1]. La mère de l’Incarnation écrivait à son fils en 1667 : « Les citrouilles du pays des Iroquois valent les pommes de rainette de France et en ont le goût, et les faisoles y croissent à foison. » L’année suivante, s’adressant au même, elle disait : « L’histoire que je vous fis des citrouilles des Iroquois vous en a donné l’appétit. Je vous en envoie de la graine, que les Hurons nous apportent de ce pays-là, mais je ne sais si votre terroir n’en changera pas le goût. On les apprête en diverses manières : en potage avec du lait et en friture ; on les fait encore cuire au four comme des pommes, ou sous la braise comme des poires ; et de la sorte il est vrai qu’elles ont le goût des pommes de rainette cuites. Il vient à Montréal des melons aussi bons que les meilleurs de France ; il n’en vient que rarement ici (à Québec), parce que nous ne sommes pas autant au sud. Il y a aussi une certaine engeance qu’on appelle les melons d’eau (pastèques) qui sont faits comme des citrouilles et se mangent, comme les melons ; les uns les salent, les autres les sucrent ; on les trouve excellents, et ils ne sont pas malfaisants. Les autres plantes potagères et les légumes sont comme en France. L’on en fait la récolte comme du blé, pour en user tout l’hiver, jusqu’à la fin de mai, que les jardins sont couverts de neige. Quant aux arbres, nous avons des pruniers, lesquels étant bien fumés et cultivés, nous donnent du fruit en abondance durant trois semaines. On ne fait point cuire les prunes au four, car il n’en reste qu’un noyau couvert d’une peau, mais on en fait de la marmalade, avec du sucre, qui est excellente. Nous faisons la nôtre avec du miel, et cet assaisonnement suffit pour nous et pour nos enfants. On fait encore confire des groseilles vertes, comme aussi du piminan, qui est un fruit sauvage que le sucre rend agréable. L’on commence à avoir des pommes de rainettes et de calville, qui viennent ici très belles et très bonnes, mais l’engeance en est venue de France. » En 1670 elle ajoute « Le dernier hiver a été extraordinairement froid… nos arbres et nos entes, qui étaient de fruits exquis, en sont morts. Tout le pays a fait la même perte, et particulièrement les mères hospitalières qui avaient un verger des plus beaux qu’on pourrait voir en France. »

Les pommiers envoyés de Normandie par M. de Monts[2], dès les premières années de Québec et plantés par la famille de Louis Hébert, étaient prospères. M. l’abbé Casgrain écrit à ce sujet : « Nos ancêtres avaient transporté de France et propagé dans le pays un certain nombre d’arbres fruitiers, principalement des pommiers. Leurs maisons furent bientôt entourées de vergers qui étaient à la fois un ornement et une source de bien-être et de revenus. Ils avaient même réussi à créer certaines variétés d’arbres fruitiers d’une qualité excellente dont quelques unes furent transportées dans la suite en France, où elles sont encore cultivées avec succès. De ce nombre sont les espèces de pommiers dont les fruits, très

  1. Voir sur tout cela le présent ouvrage II, 21, 35-6, 71-3, 140 ; III, 13, 27, 67, 103-8, 123 ; IV, 46, 89-91.
  2. Voir tômes I, 140, 144 ; II, 77-2 du présent ouvrage.