Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome VI, 1882.djvu/74

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
59
HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

pas même quarante ans que la ville était toute ouverte et tous les jours exposée à être brûlée par les sauvages ou par les anglais. Ce fut le chevalier de Callières qui la fit fermer. On projette, depuis quelques années, de l’environner de murailles[1], mais il ne sera pas aisé d’engager les habitants à y contribuer. Ils sont braves et ils ne sont pas riches. On les a déjà trouvé difficiles à persuader de la nécessité de cette dépense et fort convaincus que leur valeur est plus que suffisante pour défendre leur ville contre quiconque oserait l’attaquer. Montréal est un carré long, situé sur le bord du fleuve, lequel s’élevant insensiblement, partage la ville, dans sa longueur, en haute et basse — mais à peine s’aperçoit-on que l’on monte de l’une à l’autre. L’Hôtel-Dieu, les magasins du roi et la place d’armes sont dans la basse-ville ; c’est aussi le quartier de presque tous les marchands. Le séminaire et la paroisse, les récollets, les jésuites, les filles de la congrégation, le gouverneur et le plupart des officiers sont dans la haute-ville. Au delà d’un petit ruisseau[2], qui vient du nord-ouest, et borne la ville de ce côté là, on trouve quelques maisons et l’hôpital-général ; et en prenant sur la droite au delà des récollets, dont le couvent est à l’extrémité de la ville, du même côté, il commence à se former une espèce de faubourg qui, avec le temps, sera un très beau quartier… Les Jésuites n’ont ici qu’une petite maison, mais leur église qu’on achève de couvrir, est grande et bien bâtie. Le couvent des récollets est plus vaste et la communauté plus nombreuse. Le séminaire est au centre de la ville. Il parait qu’on a en plus en vue de la rendre solide et commode que magnifique. On ne laisse pourtant pas de sentir que c’est la maison seigneuriale ; elle communique avec l’église paroissiale qui a bien plus l’air d’une cathédrale que celle de Québec. Le service s’y fait avec une modestie et une dignité qui inspirent du respect pour la majesté du Dieu qu’on y adore… La maison des filles de la Congrégation, quoiqu’une des plus grandes de la ville, est encore trop petite pour loger une si nombreuse communauté. C’est le chef d’ordre et le noviciat d’un institut qui doit être d’autant plus cher à la Nouvelle-France, et à cette ville en particulier, qu’il y a pris naissance, et que toute la colonie se ressent des avantages que lui procure un si bel établissement… L’Hôtel-Dieu est desservi par des religieuses dont les premières ont été tirées de celui de La Flèche, en Anjou. Elles sont pauvres ; cependant il n’y parait ni à leur salle, qui est grande, bien meublée et bien garnie de lits, ni à leur église, qui est belle et très ornée, ni à leur maison, qui est bien bâtie, propre et commode. Mais elles sont mal nourries, quoique toutes infatigablement occupées, ou de l’instruction de la jeunesse ou du soin des malades… On voit encore, de temps en temps, arriver à Montréal de petites flottes de sauvages, mais ce n’est plus rien en comparaison du passé. C’est la guerre des Iroquois qui a interrompu ce grand concours des nations dans la colonie. Pour y suppléer, on a établi, chez la plupart, des magasins avec des forts, où il y a toujours un commandant et assez de soldats pour mettre les marchandises en sûreté. Les sauvages y veulent toujours avoir un armurier, et, dans plusieurs, il y a des missionnaires, qui y feraient plus de bien s’ils y étaient seuls de Français.

  1. Une note, au bas de la page, dit que ce projet est exécuté, comme on l’a vu plus haut.
  2. La rue Craig à présent.