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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

La chambre d’assemblée siégea du 13 janvier au 17 mars 1814. Le crédit de guerre, voté antérieurement (cinq cent mille louis) fut porté à quinze cent mille louis. Il y eut des débats sans arriver à aucune décision sur la loi de milice. Un bill pour empêcher les juges de devenir membres du conseil législatif passa à la chambre basse mais fut rejeté par le conseil ; il s’en suivit un échange d’arguments acrimonieux. Même chose au sujet d’un bill concernant la taxe sur les salaires et les pensions, applicable au fonds de guerre. Il y eut un vote de remerciements au major de Salaberry et à ses volontaires pour la victoire de Châteauguay ; aussi au colonel Morrison, le héros de Chrysler Farm. À propos des règles de pratique des cours de justice commença la dispute soulevée contre le juge Jonathan Sewell et autres que l’on accusait de partialité dans l’exercice de leurs fonctions ; c’était en partie l’affaire du Canadien qui revenait devant le public sous cette forme. La chambre se prononça pour l’envoi d’un agent en Angleterre dans les intérêts de la province, mais le bill préparé à cet effet demeura sur le bureau du conseil législatif.

La campagne de 1814 eut surtout pour théâtre les lacs Ontario et Érié. Ce fut une suite d’escarmouches et de combats qui, de la part des Américains, étaient destinés à aguerrir leurs troupes sans rien accomplir de décisif, tant que la situation de l’Europe n’aurait pas été définie. Si Napoléon eut été vainqueur en février et mars, durant la fameuse campagne dite de France, c’en était fait de nous, car toute l’armée américaine nous tombait sur les bras, et laissés seuls avec nos faibles ressources militaires, la résistance eut été impossible. Au début de l’été, on apprit l’abdication de Napoléon ; les régiments anglais commencèrent à débarquer à Québec ; les Américains se remirent sur l’expectative. Il y eut encore des engagements, sur des points isolés, mais de sérieux combats ou d’opérations indiquant un projet soutenu de nous envahir, il n’en fut pas question. Le Haut-Canada, constamment sur le qui-vive, passait d’une alerte à l’autre. Le Bas-Canada aussi peu agité qu’en pleine paix, se contentait d’être gardé par ses quatre mille miliciens. Salaberry tenait aisément tête à Wilkinson qui, à cheval sur la frontière du lac Champlain, se permettait de temps à autre une pointe dans nos terres. Encouragé par les renforts qu’il avait reçus, le gouverneur tenta de prendre l’offensive, vers l’automne (1814) mais il subit un échec devant Plattsburg.

La situation, en Amérique, était étrange. Après avoir fait la guerre (si toutefois on peut l’appeler ainsi) pour tâcher de suivre la fortune de Napoléon, nos voisins n’osaient pas désarmer avant que d’avoir connu le mot d’ordre du congrès de Vienne, où se distribuaient les territoires et les royaumes des deux mondes. Nous n’étions que l’une des cartes du grand jeu tenu par les souverains de l’Europe en ce moment.

Pour les Canadiens-Français, la guerre s’était terminée le 26 octobre 1813 : à Châteauguay. Pendant les quinze ou seize mois où quatre mille Canadiens-Français ont véritablement fait le métier de soldat, c’est-à-dire de juillet 1812 à novembre 1813, leur part dans la défense du pays a été belle, vu leur petit nombre. L’antique bravoure de la race ne leur a pas fait défaut. Si la lutte, au lieu de se concentrer presque sans cesse dans le Haut-Canada, eut pris place dans le Bas, nos gens se seraient portés en masse, avec le zèle des anciens