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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

glaise continuait sa croisade contre l’élément canadien ? Certainement ! Elle reprenait un à un les arguments employés du temps de sir James Craig et c’est pourquoi nous sentions le besoin de lui répondre. La lecture de ces feuilles, après cinquante ans, est des plus curieuses. D’une part, les Anglais résistent et condamnent les libertés dont nous jouissons actuellement ; d’un autre côté, les Canadiens, tout en passant pour révolutionnaires, ne demandent pas tout ce que nous avons obtenu par la suite. Mais où il n’y a pas moyen de se tromper sur la tendance des partis, c’est lorsqu’il est question de la langue française et des écoles. Les journaux anglais ne veulent pas de langue française. Ce point de leur programme est pour eux de première importance : ils comprennent que la langue est devenue la principale force de notre nationalité. En parlant des écoles, ils font coup double, nous reprochant de refuser de nous instruire ou de ne vouloir nous instruire qu’en français. L’Angleterre, depuis quelques années, encourageait l’instruction publique, mais elle ne prodiguait son argent que pour des écoles anglaises. Or, comme nous n’avions point le privilège d’administrer nos finances, il en résultait que, pour avoir des écoles françaises, il fallait les payer nous-mêmes. En Angleterre, où l’on ne lisait pas nos journaux, les attaques des feuilles anglaises de Montréal et de Québec, avaient du retentissement. Des citoyens dévoués se sacrifiaient à la cause des écoles françaises, sans parvenir à faire cesser les clameurs du parti hostile à notre élément. Encore aujourd’hui, il s’imprime dans la province d’Ontario, et jusque dans celle du Québec, des livres qui racontent notre longue résistance contre l’instruction publique, sans jamais expliquer la position dans laquelle l’Angleterre nous avait mis, ni par quels moyens énergiques et honorables nous savions racheter les défauts d’une politique dont il faudrait rougir puisqu’elle était injuste et abusive.

Nous mentionnerons un passage des mémoires de M. Joseph-François Perreault, qui a travaillé, de concert avec plusieurs Canadiens de 1830, à l’instruction de nos compatriotes : « L’éducation étant venu à l’ordre du jour, je m’en occupai spécialement, comme plusieurs autres ; je portai le zèle jusqu’à bâtir à mes propres dépens, deux écoles, dans le faubourg Saint-Louis de Québec, une pour les garçons en 1830 et l’autre pour les filles, un an après, où je fais montrer à lire, écrire et compter le matin, et l’après-midi à travailler : les garçons au jardinage l’été, et l’hiver à faire des instruments aratoires ; les filles à échiffer, carder, filer et tricoter, à faire de la toile et des étoffes, enfin à tailler et à coudre ces effets. J’ai pourvu l’une d’outils de menuiserie et de carrosserie et l’autre de différents métiers pour tisser la toile et les étoffes, aussi de quenouilles, fuseaux et cordes. J’ai déboursé pour ces objets plus de deux mille louis, et j’ai rédigé et imprimé des ouvrages pour l’enseignement de la jeunesse de mon pays ; et j’entrepris de former une ferme modèle que je confiai à M. Girod élève de Hofroyt, en Suisse, et qui est tombée faute d’encouragement. »

L’éclosion de talents littéraires que les Anglais reconnaissent maintenant parmi les Canadiens-Français et que ceux-ci font remonter à 1860, n’est pas aussi récente que cela ! Proportion gardée, nous avions, avant 1830, un monde de gens d’études, et des écrivains, et des