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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

d’entendre parler de danger de la part de ces hommes, par des gens trop prodigues d’objections futiles : — « Ils écriront à leurs amis, en Angleterre, » disait-on ; « ils raconteront les choses à leur manière et soulèveront une clameur contre la commission, si on les inquiète. » Eh bien ! auraient-ils des légions d’amis, je crois qu’une commission de la nature de la nôtre ne saurait s’abstenir de censurer les abus qui se peuvent découvrir parmi eux ; mais le fait est que s’il est au monde un corps que l’on puisse traiter sans crainte selon ses mérites (qui est-ce qui demanderait mieux ?) c’est bien l’orgueilleux parti officiel du Canada. Dans la province même, il est très difficile de dire laquelle des grandes divisions de la population a le plus d’aversion pour ce parti.

« Très différent de ce faible corps est le vrai « parti anglais. » Ce dernier se compose de presque tous les marchands, auxquels se joignent de grands propriétaires fonciers, et d’une partie des fonctionnaires civils les plus jeunes et les plus intelligents. Il possède beaucoup d’intelligence, de grands moyens et un crédit plus grand encore ; en outre, il a cette confiance mutuelle, et cette précision, cette unité de but, que nos compatriotes — il faut leur rendre cette justice — savent mieux qu’aucun autre peuple donner aux associations politiques. De plus, ce corps imposant jouit d’un grand avantage, en ce moment-ci, par le ton modéré qu’il peut prendre en contraste avec la violence de ses adversaires, ce qui lui vaut la bienveillance sinon l’appui manifeste de cette nombreuse partie de la société qui préfère la sécurité et une vie tranquille à toute autre chose. Et cependant, je n’aime pas le parti anglais. Il a tout autant l’ambition de dominer que le parti français ; et, selon moi, il est prêt à employer pour y arriver des moyens moins scrupuleux. Chaque fois que l’un des deux, actuellement, parle de sécession, je regarde la chose comme pur pathos ou artifice pour faire plier le gouvernement ; mais comptez que si jamais ces effervescences, dans le Bas-Canada, allaient jusqu’à risquer de rompre le lien qui unit la province à la mère-patrie, les Anglais seraient les premiers à le trancher. Des deux partis c’est de beaucoup le plus disposé à sympathiser avec les principes américains, et je dois ajouter le plus capable de manier des institutions républicaines. C’est le plus rancunier, car il n’a pas oublié le pouvoir qu’il a perdu, et il hait son rival comme si celui-ci était en quelque sorte un usurpateur. Enfin, si jamais on lui offre l’occasion de s’unir, dans quelque cause commune, avec les colons anglais de la province supérieure, il verra que se liguer avec ces derniers pour renoncer au contrôle du gouvernement anglais en Europe, est son plus sûr moyen d’écraser l’influence de la race française en Amérique. Si jamais l’union des Canadas est remise sur le tapis, nous nous en trouverons bien pourvu que la part de l’Angleterre ne soit pas oubliée dans le projet.

« Le « parti français, » si l’on borne cette appellation à ceux qui ont des idées, des projets et des sentiments à eux, semble à peu près synonyme de la majorité dans la chambre d’assemblée, ou plutôt de la petite portion de cette majorité qui a quelque idée de la politique. À l’exemple de ce qui a toujours été, l’assemblée se compose principalement d’avocats, de médecins et de cultivateurs. Ces derniers sont très ignorants en politique et la politique leur est indifférente. Les députés n’ambitionnent leurs mandats, comme on dit, que pour le profit qu’ils en retirent. Pendant une longue session, la rétribution de deux piastres par jour leur