Page:Swift - Instructions aux domestiques.djvu/117

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que le compliment ne soit pas perdu ; mais secouez-la doucement jusqu’à ce qu’elle s’éveille ; et alors rendez le message, recevez sa réponse, et laissez-la dormir.

Si vous êtes assez heureuse pour être auprès d’une riche héritière, vous devez vous y prendre bien mal si vous n’attrapez pas cinq ou six cents livres pour disposer de sa main. Mettez-lui souvent dans l’esprit qu’elle a assez de fortune pour faire le bonheur de n’importe qui ; qu’il n’en est de véritable que dans l’amour ; qu’elle est libre de choisir qui bon lui semble, et sans l’avis de ses parents, qui ne font jamais la part d’une passion innocente ; qu’il y a quantité de beaux et charmants jeunes gens dans la ville, qui seraient ravis de mourir à ses pieds ; que la conversation de deux amoureux, c’est le ciel sur la terre ; que l’amour, comme la mort, égalise toutes les conditions ; que si elle jetait les yeux sur un jeune homme au-dessous d’elle comme naissance et comme biens, le don de sa main ferait de lui un gentleman ; que vous avez vu hier sur le Mall le plus joli enseigne, et que si vous aviez quarante mille livres, elles seraient à son service. Ayez soin que chacun sache auprès de qui vous vivez ; quelle grande favorite vous êtes, et qu’on prend toujours votre avis. Allez souvent au parc de Saint-James ; les beaux garçons vous y découvriront bientôt et trouveront moyen de glisser une lettre dans votre manche ou dans votre sein : ôtez-la avec fureur et jettez-la par terre, à moins que vous n’y trouviez au moins deux guinées ; mais en ce cas, ayez l’air de ne pas les voir et de penser