Page:Swift - Opuscules humoristiques - Wailly - 1859.djvu/230

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seule prophétie dont l’accomplissement ne soit de deux mois postérieur à la publication de sa brochure. Ceci a l’air un peu suspect : on dirait qu’il veut tenir le monde en haleine aussi longtemps qu’il le peut décemment ; sans quoi, il serait difficile à croire qu’il n’ait pu nous faire une seule prédiction d’ici au 29 de mars : ce qui n’est pas jouer d’aussi franc jeu que M. Partridge lui-même et ses confrères, qui nous donnent leurs prédictions (telles quelles, il est vrai), pour chaque mois de l’année.

Il est dans la brochure de M. Bickerstaff un passage qui dénote une assurance comme j’en ai peu vu ailleurs. C’est cette prédiction pour le mois de juin, relative aux Prophètes français de cette ville, et où il nous dit : « qu’ils se disperseront entièrement lorsqu’ils auront vu venir l’époque où leurs prophéties auraient dû s’accomplir, et seront désabusés par des événements contraires. » Sur quoi il s’étonne avec raison « qu’aucun fourbe soit assez niais pour prédire à si courte échéance, alors que fort peu de mois doivent découvrir l’imposture à tout l’univers. » Cela est dit d’un air de grande indifférence, comme pour nous faire croire qu’il n’a pas la moindre appréhension que dans deux mois il lui en arrive autant. Quant à ce gentleman, je ne me souviens pas d’avoir jamais vu un si plaisant raffinement d’impudence, et j’espère que l’auteur ne prendra pas ce mot pour une incivilité, convaincu que je suis d’entrer dans son idée et de prendre la chose comme il a voulu qu’elle fût prise.