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&M RÈGNE DE LA TERREUR EN FRANCE.

dans une molle oisiveté, pour se retrouver ensuite avec ardeur et courage à la tête des vainqueurs au moment décisif. C’est ainsi que, parmi les Girondins, il avait surtout haï Vergniaud, ce rêveur paresseux qui toujours se montrait aimable et était partout irrésistible. Il détestait aussi Danton, dont les basses débauches ne lui inspiraient que le mépris, et dont il enviait cependant la force et l’éloquence entraînante. Depuis le mois d’avril, il l’avait sans cesse trouvé sur son chemin, et il avait tout mis en oeuvre pour le renverser du siège qu’il occupait dans le gouvernement. Il n’y avait réussi que depuis quelques semaines, et déjà il fallait qu’il lui demandât secours et amitié, qu’il fit taire sa haine devant les exigences passagères de la politique. S’il s’y décida enfin, ce ne fut pas, nous pouvons le certifier, sous l’impulsion de sentiments d’humanité ou de justice provoqués par les crimes toujours plus grands de Collot d’Hcrbois, de Fouché ou de Ronsin. Tous les décrets, tous les ordres sur lesquels ceux-ci s’étaient appuyés avaient reçu sa sanction, quand ils n’étaient pas émanés de lui seul. Il avait toujours demandé que le tribunal révolutionnaire redoublât de cruauté, et il avait signalé son entrée au Comité en ordonnant en Vendée le meurtre en masse de plus de cent mille hommes, sans distinction d’innocents et de coupables. Mais les mômes côtés de sa nature qui le séparaient de Danton l’éloignaient aussi des Hébertistes. Moins il se sentait d’énergie et de force créatrice, plus il poussait jusqu’au pédantisme le sentiment et l’amour de l’ordre moins il se sentait propre à la lutte et aux entreprises hardies, plus il éprouvait de méfiance pour tous ceux qui montraient de l’indépendance de volonté. Or, le parti de l’Hôtel de Ville n’offrait à tous les étages qu’un composé de désordre et de licence; la rupture entre lui et Robespierre fut donc amenée par les sentiments intimes de ce dernier aussi bien que par les événements.

A cela vint se joindre une influence personnelle, dont l’action se faisait déjà sentir depuis longtemps. Parmi les amis les plus intimes et les plus dévoués de Danton, on comptait l’ancien comédien Fabre d’Églantine, auquel on pouvait appliquer cette description connue d’un intrigant « qu’au lieu d’amo il n’avait qu’un marais sans fond, sur lequel devait échouer même le pilote le plus habile ». U avait été l’instrument de Danton dans toutes