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HISTOIRE D’UN GOUJON

que libre, tirait de toutes ses forces pour s’en aller, mais la corde se tendait et, bientôt épuisé, il cessait de tirer en regardant tout autour sans comprendre.

Un troisième ne bougeait plus du tout. La pointe qui l’avait tué ressortait par sa bouche entre-ouverte. Il flottait inerte, suspendu tête en bas.

J’ai pleuré de voir souffrir mes frères !

Qu’avaient-ils donc fait aux hommes pour être ainsi traités ! Les hommes, eux, ont l’espace, l’air, le soleil ; ils sont forts et puissants. Nous, nous n’avons que les eaux, et encore avec tous ses périls. Nous ne demandons rien que de nager tranquilles, manger quelques mouches, quelques larves, nettoyer lacs et ruisseaux de toutes ces petites choses presqu’invisibles qui en souillent la pureté cristalline. Pourquoi nous faire du mal, pourquoi nous faire souffrir ?

J’étais là triste et tremblant, lorsqu’un gardon avec des épines sur la tête s’approcha prudemment, flaira le premier petit poisson blessé, et, le voyant sans défense, le mordit si fort qu’il en emporta tout un morceau. Il allait manger le reste, mais la corde remonta avec ce qui restait du pauvre petit.