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HISTOIRE D’UN GOUJON

Le gros gardon déçu s’élança sur le deuxième, et pour pas qu’il se sauve, il l’avala tout entier. Mal lui en prit, car il monta lui aussi avec la corde, si vite, que je suis sorti pour voir où il allait.

J’entendis les hommes qui riaient ; mais l’un d’eux ne riait pas, il devait dire des choses vilaines car il était fâché. Quelques instants plus tard, le gardon flottait le ventre en l’air, du sang sur ses écailles, et je compris que les hommes sont plus méchants que les truites, puisqu’ils tuent pour le seul plaisir, et non parce qu’ils ont faim.

Maintenant je n’osais plus bouger. D’autres petits poissons de la chaudière se balançaient au bout des cordes, les gros goujons accouraient de partout et les mangeaient, en se disputant entre eux. Il en venait de toutes les tailles, mais tous étaient méchants. Les plus vifs prenaient une bouchée et se sauvaient ; les autres, plus voraces, avalaient d’un seul coup le petit poisson avec la pointe. Ceux-ci disparaissaient alors en se débattant, et, peu après, je les voyais flotter, les reins brisés, si bien que l’eau en était couverte.