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C’est ainsi qu’il contredit, à propos du chiffre de la population, le renseignement donné par la Mère Marie de l’Incarnation dans ses lettres historiques, pour l’année 1653. La noble et sainte femme avait évalué la population française à environ 2 000 en tout. M. Sulte dit :

« Nous estimons la population fixe, c’est-à-dire les habitants du Canada, été 1653, à six cent soixante et quinze âmes »

En y ajoutant ceux qui ne comptaient pas parmi la population fixe, M. Sulte dit :

« Tous nos renseignements autorisent à penser que la population du Canada, en 1653, ne dépassait pas un millier d’âmes. »

M. Sulte aurait dû comprendre que, contrôlant et surtout corrigeant, à deux cent trente ans de distance, un renseignement qui date de l’époque même dont il est question, renseignement fourni par une autorité de premier ordre, il était tenu de donner les raisons et appuis du « nous estimons » suivi d’un chiffre qui se donne l’air d’une précision rigoureuse, et encore d’indiquer quelque chose au moins de tous nos renseignements. La curiosité du lecteur est ici piquée au vif. On demande, à M. Sulte, des estimations et des renseignements, appuyés de documents. Avec cela que M. Sulte ne donne pas une fameuse idée de sa critique statistique, quand il dit ailleurs, parlant de l’année 1655 :

« C’est à peine si les Français de tout rang, âge et sexe, dépassaient un millier d’âmes — soit deux cents hommes en état de porter les armes. »

Compter que le cinquième de la population est composé d’hommes en état de porter les armes peut très bien faire, pour une population régulièrement et normalement constituée ; mais appliquer cette règle à la population française du Canada en 1655, c’est commettre une erreur grossière, pour la bonne et simple raison que les femmes et les enfants ne formaient alors, au sein de cette colonisation, qu’une très faible partie du total. C’est ainsi que dix ans plus tard, en 1665, alors que cette proportion des non combattants avait été de beaucoup augmentée, le recensement nous donne plus de 1 300 hommes en âge de porter les armes, sur une population établie de 3 215, à l’exclusion de la population non encore fixée. En comptant tout, un chiffre de près de 2 500 combattants, sur un grand total de 4 415 ; c’est-à-dire, non pas 1 sur 5, mais notablement plus que 1 sur 2.

De tout cela il faut conclure qu’il ne reste qu’une chose à faire à M. Sulte, c’est de confesser ses erreurs, de se rétracter et de fermer boutique d’histoires. C’est pour lui un devoir, et le seul moyen de se réhabiliter, dans la bonne opinion de ceux dont l’opinion vaut quelque chose.