Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/119

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

enfin à l’âge de son rival et à l’ardeur de sa poursuite. Il y avait dans la province une célèbre empoisonneuse, nommée Martina, fort aimée de Plancine : Sentius l’envoya à Rome, sur la demande de Vitellius, de Véranius et des autres amis de Germanicus, qui, sans attendre que leur accusation fût admise, préparaient déjà les moyens de conviction.

75

Agrippine, accablée de douleur, malade, et cependant impatiente de tout retardement qui différerait sa vengeance, s’embarque avec ses enfants et les cendres de Germanicus ; départ où l’on ne peut voir sans une émotion profonde cette femme, d’une si auguste naissance, parée naguère de l’éclat du plus noble mariage, naguère environnée de respects et d’adorations, porter maintenant dans ses bras des restes funèbres, incertaine si elle obtiendra justice, inquiète de sa destinée et malheureuse par sa fécondité même, qui l’expose tant de fois aux coups de la fortune. Pison apprit dans l’île de Cos que Germanicus avait cessé de vivre. À cette nouvelle, il ne se contient plus : il immole des victimes, court dans les temples, mêlant ses transports immodérés à la joie encore plus insolente de Plancine, qui, en deuil d’une sœur qu’elle avait perdue, reprit ce jour-là même des habits de fête.

76

Les centurions arrivaient en foule, l’assurant du dévouement des légions, l’exhortant à reprendre une province qu’on n’avait pas eu le droit de lui ravir, et qui était sans chef. Il délibéra sur ce qu’il avait à faire, et son fils, Marcus Piso, fut d’avis qu’il se hâtât de retourner à Rome : "Il n’avait point jusqu’ici commis de crime inexpiable. Des soupçons vagues, de vaines rumeurs ne devaient point l’alarmer. Sa mésintelligence avec Germanicus pouvait lui mériter de la haine, mais non des châtiments. Par la perte de sa province, il avait satisfait à l’envie : s’il voulait y rentrer, la résistance de Sentius causerait une guerre civile. Quant aux centurions et aux soldats, il n’en fallait attendre qu’une foi peu durable, dont la mémoire récente de leur général et leur vieil attachement aux Césars triompheraient bientôt. "

77

Domitius Céler, un de ses amis les plus intimes, dit au contraire "qu’il fallait profiter des conjectures ; que Pison, et non Sentius était gouverneur de Syrie ; qu’à lui seul avaient été donnés les faisceaux, l’autorité de préteur, le commandement des légions. S’il survenait une attaque de l’ennemi, à qui appartiendrait-il d’y opposer les armes, autant qu’à celui qui a reçu des pouvoirs directs et des instructions