Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/172

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courage, alla tous les jours au sénat. Il y alla même entre sa mort et ses funérailles. Les consuls, en signe d’affliction, s’étaient assis parmi les simples sénateurs : il les fit souvenir de la place qui appartenait à leur dignité ; et pendant que l’assemblée s’abandonnait aux larmes, seul étouffant ses gémissements, il la releva par un discours suivi. Il dit qu’on le blâmerait peut-être de se montrer aux regards du sénat, dans ces premiers moments de douleur où l’on se refuse même aux entretiens de ses proches, où l’on supporte à peine la lumière du jour ; que, sans accuser de faiblesse un sentiment si naturel aux affligés, il avait cherché dans les bras de la république des consolations plus dignes d’une âme forte. Ensuite, après quelques réflexions douloureuses sur l’extrême vieillesse de sa mère, sur le bas âge de ses petits-fils, et sur ses propres années, qui penchaient vers leur déclin, il demanda qu’on fît entrer les fils de Germanicus, unique adoucissement aux maux qui l’accablaient. Les consuls sortent, adressent à ces jeunes hommes des paroles d’encouragement, et les amènent devant l’empereur. Celui-ci les prenant par la main : "Pères conscrits, dit-il, quand la mort priva ces enfants de leur père, je les confiai à leur oncle, et, quoique lui-même eût des fils, je le priai de les chérir, de les élever comme s’ils étaient son propre sang, de les former pour lui et pour sa postérité. Maintenant que Drusus nous est ravi, c’est à vous que j’adressa mes prières. Je vous en conjure, en présence des dieux et de la patrie, adoptez les arrière-petits-fils d’Auguste, les rejetons de tant de héros ; soyez leurs guides ; remplissez auprès d’eux votre place et la mienne. Et vous, Néron et Drusus8, voilà ceux qui vous tiendront lieu de pères. Dans le rang où vous êtes nés, vos biens et vos maux intéressent la république."

8. Des trois fils de Germanicus, Tibère ne recommanda aux sénateurs que les deux plus âgés, Néron et Drusus. Le seul dont il ne parla point est celui qui régna.

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À ce discours beaucoup de larmes coulèrent, beaucoup de vœux s’élevèrent au ciel ; et, si Tibère eût ensuite gardé le silence, il laissait tous les cœurs pénétrés d’attendrissement et remplis de sa gloire. En retombant sur le propos vain et usé par le ridicule, de remettre l’empire et d’en charger ou les consuls ou quelque autre chef, il décrédita même ce qu’il pouvait avoir dit de paroles sincères et généreuses. La mémoire de Drusus reçut tous les honneurs déjà rendus à Germanicus,