Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/178

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victime qui, tombant avec cette masse de gloire, répandrait par sa chute une profonde terreur. Plusieurs pensèrent que son indiscrétion aggravait ses dangers. Il répétait avec trop de jactance que ses légions étaient restées fidèles, quand toutes les autres se soulevaient, et que l’empire aurait changé de maître, si l’esprit de révolte avait gagné son armée. De tels souvenirs semblaient détrôner Tibère, et sa fortune se sentait accablée sous le poids d’un si grand service : car le bienfait conserve son mérite, tant que l’on croit pouvoir s’acquitter ; quand la reconnaissance n’a pas de prix assez haut, on le paye par la haine.

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Silius avait pour femme Sosia Galla, aimée d’Agrippine, et à ce titre haïe de Tibère. On résolut de les frapper tous deux, et d’ajourner Sabinus ; et l’on mit en avant le consul Marron, qui, sous prétexte de venger son père, servait honteusement les passions de Séjan. L’accusé demandait un court délai, jusqu’à ce que l’accusateur fût sorti de charge. Le prince s’y opposa. "De tout temps, selon lui, les magistrats avaient cité en justice des hommes privés, et il ne fallait pas attenter aux droits du consul, sur la vigilance duquel reposait le salut de la république." Ce fut le crime de Tibère d’emprunter au passé son langage, pour déguiser des forfaits tout nouveaux. Il assemble donc le sénat avec des protestations hypocrites, comme si les lois eussent été intéressées au jugement de Silius, comme si Marron eût été un consul, ou le gouvernement de Tibère une république. L’accusé se tut ; ou, s’il hasarda quelques mots pour sa défense, il ne laissa pas ignorer quelle haine l’accablait. On l’accusait d’avoir longtemps dissimulé, par une connivence coupable, la trahison de Sacrovir, déshonoré sa victoire par des rapines, et toléré les excès de sa femme. Et certes, l’un et l’autre se seraient difficilement justifiés du reproche de concussion ; mais tout le procès roula sur le crime de lèse-majesté, et Silius prévint par une mort volontaire une condamnation inévitable.

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On sévit cependant contre ses biens ; et ce ne fut pas pour rendre l’argent aux peuples tributaires : personne ne le redemandait. Mais on reprit les libéralités d’Auguste, et l’on supputa rigoureusement tout ce qui pouvait retourner au fisc. Ce fut la première fois que Tibère regarda le bien d’autrui d’un œil intéressé. Sosia fut, sur l’avis d’Asinius Gallus, condamnée à l’exil. Gallus voulait que la moitié de ses biens fût confisquée, l’autre moitié laissée à ses enfants. Mais M. Lépidus fit donner le quart aux accusateurs, pour obéir à la loi,