Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/179

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et les enfants conservèrent le reste. Je trouve que Lépidus fut, pour ces temps malheureux, un homme sage et ferme. J’en juge par tant d’arrêts cruels, que l’adulation dictait aux autres et qu’il fit adoucir. Et cependant sa conduite ne manquait pas de ménagement, puisqu’il conserva jusqu’à la fin son influence et l’amitié de Tibère. C’est ce qui me fait douter si l’ascendant irrésistible qui règle notre sort destine aussi, dès la naissance, aux uns la faveur des princes, aux autres leur disgrâce ; ou si la sagesse humaine ne peut pas, entre la résistance qui se perd et la servilité qui se déshonore, trouver une route exempte à la fois de bassesse et de périls. Messalinus Cotta, d’une naissance non moins illustre, mais d’un caractère différent, proposa de décréter que tout magistrat dont la femme serait accusée par la province, fût-il innocent lui-même et eût-il ignoré le crime, serait puni cependant comme s’il en était l’auteur.

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On s’occupa ensuite de Calpurnius Pison, ce noble renommé par la fierté de son esprit. C’est lui qui, s’élevant contre les manœuvres des délateurs, avait protesté en plein sénat, qu’il sortirait de Rome, et qui, bravant le pouvoir d’Augusta, n’avait pas craint de traîner en justice Urgulanie et de l’arracher du palais de César. Tibère respecta pour le moment cette liberté républicaine. Mais, dans une âme qui se repliait sur les offenses passées, en vain la blessure avait été légère ; le souvenir l’aggravait. Q. Granius accusa Pison de discours tenus secrètement contre la majesté du prince. Il lui reprochait en outre d’avoir chez lui du poison, et de venir au sénat armé d’une épée : imputations qui tombèrent, décréditées par leur gravité même. Sur les autres griefs, qu’on accumulait en grand nombre, l’accusation fut reçue, mais non poursuivie : Pison mourut à propos. On entendit aussi un rapport sur Cassius Sévérus, déjà exilé. Cet homme, d’une basse origine, d’une vie malfaisante, mais puissant par la parole, avait soulevé contre lui tant de haines, qu’un arrêt du sénat, rendu sous la religion du serment, l’avait relégué en Crète. Là, continuant ses habitudes perverses, il s’attira de nouvelles inimitiés et réveilla les anciennes. Dépouillé de ses biens et privé du feu et de l’eau, il vieillit sur le rocher de Sériphe.

La femme d’un préteur défenestrée

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Vers le même temps, le préteur Silvanus avait, pour un motif qu’on ignore, précipité d’une fenêtre sa femme Apronia. Traîné devant César par son beau-père Apronius, il répondit avec trouble : il feignait un profond sommeil, pendant