Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/186

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d’ailleurs par la colère qui se peignait sur le visage du prince en écoutant sa défense. Résolu de quitter la vie, Crémutius parla en ces termes : "Pères conscrits, on accuse mes paroles, tant mes actions sont innocentes : mais ces paroles mêmes n’attaquent ni César ni sa mère, les seuls qu’embrasse la loi de majesté. J’ai loué, dit-on, Brutus et Cassius ! Beaucoup d’autres ont écrit leur histoire, et personne n’a parlé d’eux sans éloge. Tite-Live, signalé entre les auteurs par son éloquence et sa véracité, a donné tant de louanges à Pompée, qu’Auguste l’appelait le Pompéien ; et leur amitié n’en fut point affaiblie. Scipion, Afranius18, Cassius lui-même et Brutus, n’ont jamais reçu de Tite Live les noms de brigands et de parricides qu’on leur prodigue aujourd’hui. Souvent même il en parle comme de personnages illustres. Les écrits d’Asinius Pollion19 ne retracent d’eux que de nobles souvenirs ; Messala Corvinus20 appelait hautement Cassius son général : et cependant Messala et Pollion vécurent au sein de l’opulence et des honneurs. Cicéron fit un livre où il élevait Caton jusqu’au ciel. Quelle vengeance en tira le dictateur César ? Il répondit par un autre livre, comme s’il eût plaidé devant des juges. Les lettres d’Antoine, les harangues de Brutus, contiennent des invectives, fausses, il est vrai, mais sanglantes, contre Auguste. Dans Bibaculus21, dans Catulle, on lit une foule de vers où les Césars sont outragés. Et ces dieux de l’empire, les Jules, les Auguste, souffrirent ces offenses et les dédaignèrent. Gloire en soit rendue à leur sagesse, autant peut-être qu’à leur modération ! Car une satire méprisée tombe d’elle-même ; en témoigner de la colère, c’est accepter le reproche."

18. Scipion Métellus, qui, après la bataille de Pharsale, se rendit en Afrique, et y continua la guerre, de concert avec Caton, Varus, Afranius, Pétréius, Labiénus, et les autres chefs du parti pompéien, aidés des secours de Juba roi de Mauritanie.
19. C’est celui auquel Virgile adresse sa fameuse églogue Sicelides musae, etc., et Horace la première ode du second livre, Motum ex Metello consule, etc.
20. M. Valérius Messala Corvinus avait composé un ouvrage sur les familles romaines, cité par Pline, mais perdu.
21. M. Furius Bibaculus, poète satirique, dont il ne reste que deux fragments très courts, cités par Suétone.

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"Je ne parle pas des Grecs : chez eux la licence même n’eut pas plus de frein que la liberté ; ou, si jamais des paroles furent punies, ce fut par des paroles. Mais certes on peut