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ix
INTRODUCTION.

Que les Annales aient été composées après les Histoires, ainsi que nous l’avons dit, c’est ce dont il est impossible de douter, puisque l’auteur renvoie au récit des jeux séculaires de Domitien en parlant de ceux qui furent célébrés par Claude[1]. Il paraît même que les Annales ne furent pas publiées avant l’an 115 ; car on y trouve une allusion évidente aux conquêtes qui ajoutèrent à l’empire la Mésopotamie et l’Assyrie[2], et ces conquêtes ne furent achevées qu’à cette époque. Tacite pouvait alors être âgé de soixante ans, et le passage dont nous parlons est au second livre d’un ouvrage qui en contient seize.

En commençant ses Histoires, l’auteur réservait pour sa vieillesse les règnes de Nerva et de Trajan ; et, pendant qu’il écrivait les Annales, il forma le projet de raconter également, s’il lui restait assez de vie, les événements du siècle d’Auguste[3]. Il est probable que l’un et l’autre dessein furent rompus par sa mort : il n’existe nulle part ni trace ni mention de ces deux ouvrages.

Si l’on en croit le grammairien Fulgentius Planciadès, le grave historien se délassait dans le commerce de muses moins sévères ; et il existait de lui au ve siècle un recueil de Facéties, qui, s’il était venu jusqu’à nous, nous montrerait sous un nouvel aspect ce génie aussi varié que sublime. Mais nous possédons un monument d’un bien plus grand intérêt, et dont les plus habiles critiques s’accordent aujourd’hui à le croire l’auteur : c’est le Dialogue sur les Orateurs, ou sur les causes de la corruption de l’éloquence. Le narrateur de cette conversation, réelle ou supposée, entre les hommes les plus diserts de l’époque, annonce qu’elle eut lieu dans un temps où lui-même était fort jeune ; or il en place la date à la sixième année de Vespasien, la soixante-quinzième de notre ère, et Tacite avait alors à peu près vingt ans. De plus, tous les manuscrits mettent le Dialogue sous le nom de Tacite, et Pomponius Sabinus, grammairien du moyen âge, cite comme de lui une expression remarquable qui ne se trouve que dans cet ouvrage. Plusieurs alliances de mots, qui ne sont pas moins frappantes et qu’on n’oserait guère, dit M. Dureau de Lamalle, emprunter qu’à soi-même, se rencontrent à la fois dans le Dialogue et dans les autres écrits de l’historien. On y remarque aussi très-fréquemment une forme de style qui n’est pas étrangère à Tacite, surtout dans ses premières compositions, et qui consiste à joindre ensemble des mots presque synonymes, soit pour insister davantage sur la pensée, soit pour donner à la phrase un tour plus nombreux. J’imagine que Tacite avait contracté au barreau l’habitude de ces redoublements d’expression, qui remplissent agréablement l’oreille des auditeurs, mais dont l’utilité est moins sensible dans un ouvrage fait pour être lu.

Cette observation peut expliquer encore le ton oratoire qui règne

  1. Annales, liv. XI, chap. xi.
  2. Ibid., liv. II, chap. lxi.
  3. Ibid., liv. III, chap. xxiv.