Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/209

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premiers centurions. On sut bientôt par les transfuges que neuf cents Romains avaient péri auprès du bois de Baduhenne, après avoir prolongé le combat jusqu’au lendemain, et que quatre cents autres, voulant se défendre dans une maison dont le maître, nommé Cruptorix, avait servi dans nos armées, avaient craint d’être trahis, et s’étaient mutuellement donné la mort.

LXXIV. Depuis ce temps le nom des Frisons fut célèbre parmi les Germains. Tibère dissimula nos pertes, pour ne pas confier à quelqu’un la conduite d’une guerre. Quant au sénat, il s’inquiétait peu si le nom romain était déshonoré aux extrémités de l’empire. La peur des maux domestiques préoccupait les esprits, et l’on y cherchait un remède dans l’adulation. Ainsi l’on interrompit une délibération commencée, pour voter un autel à la Clémence, et un autre à l’Amitié, entouré des statues de Tibère et de Séjan. On implorait, par des sollicitations redoublées, la faveur de les voir. Toutefois ils ne vinrent ni à Rome ni dans le voisinage. Ils crurent faire assez de sortir de leur île et de se montrer à l’entrée de la Campanie. Là coururent sénateurs, chevaliers, une grande partie du peuple, tous en peine d’arriver à Séjan, dont l’accès plus difficile ne s’ouvrait qu’à la brigue ou à la complicité. On s’accorde à dire que son arrogance fut accrue par le spectacle d’une servitude si honteusement étalée. À Rome, les yeux sont accoutumés au mouvement, et la grandeur de la ville ne permet pas de savoir quel intérêt dirige les pas des citoyens. Ici, c’est dans la plaine ou sur le rivage que cette multitude, étendue pêle-mêle, passe les jours et les nuits, pour subir, à la porte du favori, les dédains ou la protection de ses esclaves. Bientôt on leur ôte même ce droit ; et ils reviennent à Rome, les uns désespérés de ce qu’il ne les a pas jugés dignes d’une parole, d’un regard, les autres follement enivrés d’une amitié qui leur prépare de sinistres destins.

LXXV. Cependant Tibère maria la jeune Agrippine, fille de Germanicus, à Cn. Domitius. Après les avoir unis lui-même, il voulut que les noces fussent célébrées à Rome. Le prince avait choisi en Domitius le rejeton d’une antique famille et un parent des Césars. Ce Romain avait Octavie pour aïeule, et par elle il était petit-neveu d’Auguste.