Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/22

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souvent sublime, toujours simple dans sa grandeur, et toujours original et vrai, parce qu’il part d’une âme fortement convaincue et d’un esprit qui pense d’après lui-même ; c’est cette précision, qui consiste à dire ce qu’il faut, rien de plus, rien de moins, et qui n’exclut ni la pompe des expressions, ni l’éclat des images, ni l’harmonie des périodes. La concision même, qu’on reproche quelquefois à Tacite, et qui, avare de paroles, enferme dans ses coupes heurtées et ses oppositions inattendues plus de sens que de mots, n’est ordinairement qu’une heureuse hardiesse, un secret du génie, qui conçoit fortement sa pensée et la dessine à grands traits. Voilà ce qui caractérise la diction de Tacite : voilà pourquoi on ne peut la comparer avec celle d’aucun autre écrivain, pas même de Salluste, qui, avec autant de nerf et de justesse, a peut-être moins d’âme et de véritable chaleur. Tacite, comme Bossuet, a fait sa langue : avec de tels génies ; la critique ordinaire est en défaut, et l’on doit chercher dans un ordre plus élevé la règle de ses jugements.

Est-ce à dire qu’on ne trouve point dans Tacite quelques constructions hasardées, quelques recherches d’élocution, quelques phrases, bien rares cependant, où l’antithèse est dans les mots plutôt que dans la pensée, quelques formules qui lui sont particulières et qui reviennent de temps à autre, enfin de longues périodes qui manquent d’unité, parce que les membres qui les composent ne concourent point au développement d’une idée principale ? Nous ne prétendons pas dis- simuler ces légers défauts, pas plus que nous n’avons passé sous silence les taches que nous avons cru remarquer dans l’Agricola et dans la Germanie. Mais nous ne pouvons nous empêcher de relever un mérite que l’on n’a peut-être pas assez loué dans Tacite : c’est cette variété de ton et de couleur, toujours appropriée à la nature des objets. Ainsi, quand il peint ou le champ de bataille de Varus, ou la flotte de Germanicus battue par les tempêtes de l’Océan. ou Cécina dégageant ses légions des marais de la Frise avec des travaux inouïs, l’horizon brumeux et le ciel écrasé de la Germanie communiquent au style de l’historien leurs teintes sombres et mélancoliques :  ; tandis que le soleil de l’Orient semble réfléchir sa lumière sur les pages où l’auteur ra- conte les merveilles de l’Égypte et les fables de la Grèce. L’écrivain qui pénétra le plus avant dans les replis du cœur humain est peut-être encore celui qui a trouvé, pour peindre le monde physique, les cou- leurs les plus riches et les plus habilement nuancées.

On accuse Tacite de finesse et de subtilité. Pour lui, dit-on, les motifs les plus vrais ne sont que des prétextes ; il rapporte les moindres actions à des vues profondes, et il donne à des effets tout naturels des causes mystérieuses. C’est principalement sur l’histoire de Tibère que tombe cette critique. Mais, si l’on pense aux ménagements auxquels Tibère se croyait obligé envers le sénat, si l’on considère que ce despote soupçonneux ne crut jamais son pouvoir assez affermi, on jugera que la politique cauteleuse que lui prête Tacite était une nécessité ou de sa position ou de son caractère, Tibère d’ailleurs n’eut