Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/313

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peu aux affranchis de conserver la liberté comme ils l’avaient acquise, par de justes égards. Quant aux auteurs de crimes manifestes, ils méritaient bien de rentrer dans l’esclavage : ainsi les âmes insensibles aux bienfaits seraient contenues par la crainte."

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D’autres soutinrent "que les coupables devaient porter la peine de leurs fautes, sans que, pour un petit nombre, on attaquât les droits de tous ; que ce corps était répandu dans toute la société ; qu’il servait à recruter les tribus8, les décuries9, les cohortes même de la ville10 ; qu’on en tirait les officiers des magistrats et des prêtres ; que la plupart des chevaliers et beaucoup de sénateurs n’avaient pas une autre origine ; que, si l’on faisait des affranchis une classe séparée, la disette de citoyens nés libres paraîtrait à découvert. Non, ce n’est pas en vain que nos pères, en faisant à chacun des ordres sa part de dignité, laissèrent la liberté commune et indivise ; ils instituèrent même deux sortes d’affranchissement, afin qu’on eût le temps, ou de changer d’avis, ou de confirmer son bienfait par un autre. L’esclave que son maître n’a pas rendu libre dans la forme solennelle tient encore à la servitude par une dernière chaîne. C’est à chacun de peser le mérite, et de ne pas accorder légèrement un don irrévocable." Cet avis prévalut. Le prince écrivit au sénat d’examiner les plaintes des patrons contre les affranchis toutes les fois qu’il s’en présenterait, mais de ne rien statuer de général. Peu de temps après, la tante de Néron se vit enlever, par un abus du droit civil, son affranchi Paris, non sans honte pour le prince, qui fit prononcer par jugement que Paris était né libre.

8. Le peuple romain était divisé en trente-cinq tribus, dont trente et une de la campagne, et quatre de la ville. Celles-ci comprenaient les prolétaires, les capite censi, enfin tout le menu peuple ; aussi étaient-elles moins honorables que les autres. C’est par cette raison qu’on y faisait entrer les affranchis.
9. Les décuries des scribes ou greffiers des magistrats.
10. Les gardes nocturnes, établies par Auguste et composées d’abord d’affranchis.

Dispute entre tribun et préteur

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Toutefois, il subsistait encore un fantôme de république. Une contestation s’éleva entre le préteur Vibullius et Antistius, tribun du peuple, au sujet de quelques séditieux arrêtés par le préteur pour leur violence dans les cabales du théâtre, et relâchés par ordre du tribun. Le sénat blâma cet ordre comme un excès de pouvoir, et se déclara pour Vibullius. En même temps on défendit aux tribuns d’usurper la juridiction des préteurs ou des consuls,