Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/317

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les travaux du soldat romain. On tint pour constant qu’il y avait dans cette armée des vétérans qui n’avaient jamais ni veillé, ni monté la garde ; la vue d’un fossé et d’un retranchement les étonnait comme un spectacle nouveau. Sans casques, sans cuirasses, occupés de se parer ou de s’enrichir, c’était dans les villes qu’ils avaient accompli le temps de leur service. Corbulon congédia ceux que l’âge ou les infirmités avaient affaiblis, et demanda des recrues. Des levées se firent dans la Galatie et dans la Cappadoce. Il lui vint en outre une légion de Germanie, ayant avec elle ses auxiliaires tant à pied qu’à cheval. Toute l’armée fut retenue sous la tente, malgré les rigueurs de l’hiver le plus rude. La terre était si durcie par la glace, qu’il fallait la creuser avec le fer pour y enfoncer les pieux. Beaucoup de soldats eurent les membres gelés, et plusieurs moururent en sentinelle. On en remarqua un qui, en portant une fascine, eut les mains tellement roidies par le froid, qu’elles s’attachèrent à ce fardeau et tombèrent de ses bras mutilés. Corbulon, vêtu légèrement, la tête nue, se multipliait dans les marches, dans les travaux, louant l’activité, consolant la faiblesse, donnant l’exemple à tous. Cependant la dureté du climat et celle du service rebutèrent le soldat, et beaucoup désertaient : on eut recours alors à la sévérité. Dans les autres armées, on pardonnait une première, une seconde faute ; sous Corbulon, quiconque abandonnait son drapeau était sur-le-champ puni de mort. Cette rigueur fut salutaire, et l’on reconnut qu’elle valait mieux que la clémence ; car il y eut moins de désertions à punir dans ce camp que dans ceux où l’on faisait grâce.

Pactius désobéit aux ordres

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Corbulon tint ses légions campées jusqu’aux premiers beaux jours du printemps, et distribua ses cohortes auxiliaires dans des positions avantageuses, avec défense de hasarder aucune attaque. Le commandement de ces détachements fut confié à Pactius Orphitus, qui avait été primipilaire. En vain Pactius écrivit que la négligence des barbares offrait des chances dont on pouvait profiter ; il lui fut enjoint de rester dans ses retranchements et d’attendre de plus grandes forces. Mais il enfreignit cet ordre ; et, renforcé de quelques escadrons qui arrivaient des postes voisins, et qui demandaient imprudemment le combat, il en vint aux mains et fut mis en déroute. Effrayés par sa défaite, ceux qui devaient le soutenir s’enfuirent en désordre chacun dans leur camp. Corbulon, indigné, réprimanda Pactius, ainsi que les officiers et les soldats, et les condamna