Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/356

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lorsque Antistius aurait été condamné par le sénat, Néron userait de sa puissance tribunitienne pour le sauver de la mort. Appelé en témoignage, Ostorius déclara n’avoir rien entendu : on crut de préférence les témoins qui accusaient. Junius Marullus, désigné consul, opina pour que le coupable fût destitué de la préture, et mis à mort suivant la coutume de nos ancêtres. Chacun approuvant cet avis, Thraséas se lève à son tour, et, après un hommage éclatant rendu à César, et une vive censure d’Antistius, il ajoute : "que, sous un si bon prince, et quand le sénat n’est enchaîné par aucune nécessité, ses arrêts ne doivent pas ordonner tout ce que le criminel mériterait de souffrir ; que le bourreau et le lacet fatal sont depuis longtemps oubliés ; qu’il existe des châtiments établis par les lois, et qu’on peut infliger des peines qui n’attestent pas la cruauté des juges et la honte du siècle. Oui, relégué dans une île et dépouillé de ses biens, plus Antistius y traînera longtemps sa coupable existence, plus il sentira cruellement ses misères privées, sans cesser d’être un grand exemple de la clémence publique."

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La liberté de Thraséas arracha les autres à leur asservissement, et, le consul ayant autorisé le partage, tous passèrent du côté de ce grand homme, excepté quelques flatteurs, entre lesquels A. Vitellius17 se distingua par l’empressement de sa bassesse, attaquant de ses invectives les plus gens de bien, et, comme font les lâches ; restant muet à la première réponse. Toutefois les consuls, n’osant rédiger le décret du sénat, écrivirent au prince le vœu de cet ordre. Néron balança d’abord entre la honte et la colère : enfin il répondit "que, sans être provoqué par aucune injure, Antistius s’était permis contre le prince les paroles les plus outrageantes ; que vengeance en avait été demandée au sénat ; qu’il eût été juste de proportionner la peine à la grandeur du crime ; mais que, résolu par avance d’arrêter l’effet de la sévérité, il ne s’opposerait pas à la clémence ; qu’ils prononçassent ce qu’ils voudraient ; qu’au nombre de leurs pouvoirs était même celui d’absoudre." Cette lettre, où chaque mot décelait une âme offensée, fut lue sans que les consuls changeassent rien à la délibération, ou que Thraséas renonçât à son avis, ou que les autres désavouassent ce qu’ils avaient approuvé. Les uns craignaient qu’on ne leur prêtât l’intention de rendre le prince