Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/363

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Alors, ivre de joie, la multitude monte au Capitole et adore enfin la justice des dieux ; elle renverse les statues de Poppée ; elle porte sur ses épaules les images d’Octavie, les couvre de fleurs, les place dans le Forum et dans les temples. Elle célèbre même les louanges du prince et demande qu’il s’offre aux hommages publics. Déjà elle remplissait jusqu’au palais de son affluence et de ses clameurs, lorsque des pelotons de soldats sortent avec des fouets ou la pointe du fer en avant, et la chassent en désordre. On rétablit ce que la sédition avait déplacé, et les honneurs de Poppée sont remis dans tout leur éclat. Cette femme, dont la haine, toujours acharnée, était encore aigrie par la peur de voir ou la violence du peuple éclater plus terrible, ou Néron, cédant au vœu populaire, changer de sentiments, se jette à ses genoux, et s’écrie "qu’elle n’en est plus à défendre son hymen, qui pourtant lui est plus cher que la vie ; mais que sa vie même est menacée par les clients et les esclaves d’Octavie, dont la troupe séditieuse, usurpant le nom de peuple, a osé en pleine paix ce qui se ferait à peine dans la guerre ; que c’est contre le prince qu’on a pris les armes ; qu’un chef seul a manqué, et que, la révolution commencée, ce chef se trouvera bientôt : qu’elle quitte seulement la Campanie et vienne droit à Rome, celle qui, absente, excite à son gré les soulèvements ! Mais Poppée elle-même, quel est donc son crime ? qui a-t-elle offensé ? Est-ce parce qu’elle donnerait aux Césars des héritiers de leur sang, que le peuple romain veut voir plutôt les rejetons d’un musicien d’Égypte assis sur le trône impérial ? Ah ! que le prince, si la raison d’État le commande, appelle de gré plutôt que de force une dominatrice, ou qu’il assure son repos par une juste vengeance ! Des remèdes doux ont calmé les premiers mouvements ; mais, si les factieux désespèrent qu’Octavie soit la femme de Néron, ils sauront bien lui donner un époux."

Anicet prétend qu’il est l’amant d’Octavie

62

Ce langage artificieux, et calculé pour produire la terreur et la colère, effraya tout à la fois et enflamma le prince. Mais un esclave était mal choisi pour asseoir les soupçons, et d’ailleurs l’interrogatoire des femmes les avait détruits. On résolut donc de chercher l’aveu d’un homme auquel on pût attribuer aussi le projet d’un changement dans l’État. On trouva propre à ce dessein celui par qui Néron avait tué sa mère, Anicet, qui commandait, comme je l’ai dit, la flotte de Misène. Peu de faveur, puis beaucoup de haine, avait suivi son crime ; c’est le sort de qui prote son bras aux forfaits d’autrui :